Haiti Democracy Project

L?Union Fait la Force
???????
À? L?OCCASION DU NOUVEL AN,
UNE LARGE COALITION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE
APPORTE DE L?ESPOIR
À LA DÉMOCRATIE ASSIÉGÉE EN HAÏTI
La récente déclaration conjointe de 184 organisations de la société civile haïtienne pourrait annoncer l?aurore d’un nouveau jour en Haïti, après une nuit profonde de division, de dérive et de désespoir. À la veille du bicentenaire de sa Révolution, où le flambeau de la liberté transperça comme un glaive le voile de l?esclavage abattu sur le Nouveau Monde, et quelques 17 ans après qu?un lever de soleil eut chassé le vampire de la dynastie Duvalier, les Haïtiens de tous les milieux semblent, une fois de plus, s?unir devant les intérêts supérieurs de la nation.
Puissent-ils, cette fois-ci, puiser leurs forces dans la volonté de se battre non contre un ennemi commun, mais pour une cause commune ; puissent-ils placer leur confiance non en un leader unique, mais dans le processus démocratique lui-même ; et puisse l?année 2003 entrer dans l?histoire comme celle où a pris naissance la vraie République, si longtemps attendue.
LA DÉCLARATION
La Déclaration est osée, et sa portée n?est rien moins que révolutionnaire quand on la regarde à la lumière de l?histoire tourmentée d?Haïti et de la crise actuelle.
VERS UN NOUVEAU « CONTRAT SOCIAL » POUR HAÏTI
Tout d?abord, elle engage ses signataires, d?appartenances et de talents divers, à travailler ensemble à l?élaboration d?un nouveau « contrat social » pour Haïti, un contrat qui vise, non sans raisons, l?amélioration des conditions de vie de tous les Haïtiens, tout en accordant une priorité méritée aux besoins de la majorité, victime d?une exploitation sans pitié et honteusement laissée dans la misère (oui, il s?agit bien des « démunis »).
Bien sûr, l?appel à un nouveau contrat social en Haïti, à un « projet » national qui transformerait enfin l?héritage amer de l?esclavage en un patrimoine de liberté, ne représente, en soi, rien de nouveau. Nombreux sont ceux qui en ont réclamé autant pendant des années.
Mais l’idée qu?il vaut mieux mettre en oeuvre ce projet sur une base d?unité et de consensus, plutôt que de discorde et de rivalité, est relativement nouvelle et d?une grande importance. Car si une compétition vigoureuse entre intérêts divergents est la marque de toute société vraiment libre, c?est bien l?absence de consensus sur une question beaucoup plus fondamentale – celle du respect des « règles du jeu » et des principes qui doivent régir une telle compétition pour qu?elle soit vraiment transparente et juste ? c?est cette absence, dis-je, qui caractérise avec le plus d?évidence les sociétés qui ne sont pas encore libres, au vrai sens du mot. Haïti souffre depuis trop longtemps de ce syndrome de Caïn ? où des frères s?entre-déchirent dans un conflit sans limites et autodestructeur.
Le nouveau contrat social (et peut-être aussi le « premier ») dont il est question aujourd?hui ne reprend donc pas, cette fois, l?éternelle utopie d?une entente sur le « partage du gâteau ». Il détermine plutôt, comme il le devrait, la manière dont les personnes pourront, ou devraient pouvoir, obtenir ou essayer d?obtenir ce qu?elles veulent ; il indique aussi, inversement, quels sont les fins et moyens devant être désormais considérés inacceptables et illicites dans la recherche de la satisfaction d?intérêts personnels.
Pour que ces nouvelles règles soient assorties d?une force exécutoire, il est nécessaire qu?elles soient préalablement débattues et acceptées. De plus, il ne s?agit pas seulement ici de convenir de n?être pas d?accord (ce qui paraît déjà assez difficile aujourd?hui en Haïti), il s?agit aussi de s?entendre sur la manière de n?être pas d?accord, afin d’arriver à des conclusions justes et équitables, et de privilégier la compétition constructive plutôt que son contraire.
MISE EN ROUTE DU PROCESSUS ÉLECTORAL
Dans le cadre de ces préoccupations de base, la Déclaration porte ensuite l?essentiel de l?attention sur ce qui constitue, à l?évidence, la question la plus immédiate et la plus pressante en matière de compétition intersectorielle au sein de la nation : les prochaines élections générales. En énonçant sept conditions préalables à la tenue de « toute élection crédible et démocratique en Haïti », les signataires avertissent la nation, le régime, voire le monde qu?il serait d?une absurdité patente d?envisager un scrutin dans les conditions qui prévalent de nos jours.
Pour que les prochaines élections aient une chance d?être libres et justes, avancent les signataires, il faut effectuer des changements fondamentaux au préalable et sans tarder. Ces changements visent sans détour, et de façon essentielle, la « mise à plat du terrain », non seulement pour les candidats à la prochaine campagne, mais aussi pour ceux qui seront appelés à déposer leurs bulletins aux urnes. Pour la plupart de ces changements, le bien-fondé est évident. (Signalons, au passage, qu?ils reflètent presque exactement les engagements actuels du gouvernement dans le cadre de la Résolution 822 de l?OEA et l?esprit des recommandations du Conseil Permanent au sujet de ladite résolution et d?autres résolutions.) Ils stipulent que :
- La liberté de réunion doit être garantie.
- Les bandes de malfaiteurs doivent être dissoutes et désarmées ; les agents de police et autres fonctionnaires ayant des liens avec ces bandes doivent être licenciés et traduits en justice.
- Les chefs de ces bandes, particulièrement ceux qui ont participé, d?une manière quelconque, aux actes de violence du 1er décembre 2001 et à l?assassinat des journalistes Jean Dominique et Brignol Lindor, doivent être traduits en justice.
- Les prisonniers politiques gardés illégalement en détention, de même que les autres détenus dont l’élargissement a été ordonné par décision de justice, doivent être libérés.
- Les discours incitant à la haine et à la violence, par les membres ou partisans du régime ou par toute autre personne, doivent cesser.
- Le gouvernement doit prendre des mesures concrètes pour assurer la sécurité et la paix aux journalistes, étudiants, enseignants et autres personnes actuellement harcelées par des bandes armées ouvertement liées au parti du pouvoir.
- L?assistance de la communauté internationale en matière de sécurité doit être éventuellement disponible et utilisée.
Ils ont raison, bien sûr. Quiconque a vécu une campagne pour des élections générales en Haïti ? une expérience que malheureusement beaucoup trop de politiciens et de votants n?ont pas connue ? se rendra immédiatement compte que ces sept points (notamment le dernier) ne représentent rien de plus que les desiderata minima pour la tenue d?élections prochaines. En fait, il faudra faire beaucoup plus pour empêcher que les prochaines élections en Haïti ne reproduisent purement et simplement les échecs du passé ; ce qu?il faut souhaiter à ce pays, ce n?est point le passage d?une crise électorale à une autre.
LA COALITION
Si les événements des quelques derniers mois n?ont pas suffi à convaincre certains observateurs de l?étranger ? encore animés du désir sincère, mais futile, de voir surgir une personnalité messianique capable de résoudre la situation désespérée en Haïti ? l?émergence de cette coalition de la société civile le 26 décembre ? une coalition trans-sectorielle, diverse, d?envergure nationale et qui se fait clairement comprendre ? ne peut plus laisser aucun doute raisonnable :
Aujourd?hui, comme en 1804 et encore en 1986, c?est le peuple qui va – et doit – prendre les commandes ; il ne se laissera pas mener par quiconque. Quant à la société civile, elle se prépare clairement à relever ce nouveau défi, cette prochaine occasion de s?efforcer d?assurer la pérennité de cette sorte de changement qui, jusqu?à présent, s?est révélée un vain espoir pour Haïti : les réformes démocratiques irréversibles.
En 1990, à dire vrai, le peuple haïtien confiait légitimement et dans une écrasante majorité la gestion de ses affaires à un seul homme qui assuma, sans surprise, la direction du vaste mouvement démocratique et qui, comme un colosse, traversa d?une enjambée le paysage politique où le vide s?était fait devant lui.
Toutefois, les personnages d?une taille similaire qui l?avaient autrefois accompagné ou suivi ont, pour la plupart, disparu de son entourage. Certains furent contraints de partir, à mesure que l?embrasse catholique d?un grand mouvement s?estompait devant l?exclusivité paroissiale d?un parti au pouvoir ; et d?autres se sont distanciés sous l?effet combiné de leur grande déception et de la fidélité à leurs principes. Il ne reste plus maintenant que les proverbiaux pieds d?argile, ainsi qu?un legs de frustration, de peur et de sectarisme propres à déclencher dans le pays une explosion sociale latente.
Ainsi donc, insinuer que ces 184 organisations sont, en quelque sorte, un produit de l?imagination machiavélique de l?opposition ? ou, pire encore, un produit de ses machinations ? c?est révéler des sentiments avoisinant un profond mépris des capacités du « peuple haïtien », dont on parle si souvent et qu?on respecte si peu, de reconnaître et de défendre ses propres intérêts. Ce peuple n?est pas davantage une masse incohérente aujourd?hui qu?il ne l?était en février 1986, ni en décembre 1990, ni, en fait, durant ses trois années de résistance enfin victorieuse au régime militaire de facto, de 1991 à 1994. Voilà que son leadership naturel émerge de nouveau aujourd?hui pour reprendre le même combat.
Enfin, la société civile haïtienne, à qui l?on pourrait reprocher une certaine lenteur à se réveiller après ce que l?histoire retiendra comme la « décennie 90 de la léthargie », est de nouveau en mouvement ; et cette fois, souhaitons ardemment qu?elle soit mieux organisée, aguerrie par ses pénibles expériences et encore plus déterminée à jeter les bases d?une démocratisation si longtemps reportée en Haïti. (Disons-le en passant, la liste des signataires de la récente déclaration, bien que comprenant les noms de certaines personnes et organisations dont on peut trop facilement dire que c?étaient des « putschistes », voire des « macoutes », ressemble de façon très surprenante à un « Bottin » du mouvement Lavalas de 1990.
« Si tu me trompes une première fois », dit l?adage, « honte à toi ; mais si tu me trompes une deuxième fois, honte à moi ! »
LES ÉTAPES À VENIR
En Haïti
La coalition a elle-même fixé une échéance très ferme. Elle a réclamé au régime de fournir, d?ici au 15 janvier, des preuves palpables de ses intentions. À la même date, la coalition devra elle-même être prête, mutatis mutandis, à réagir à une éventuelle réponse, quelle qu?elle soit, ou même au manque de réponse.
D?ci là ? ce qui représente à peine près de 10 jours – le nouveau « Groupe des 184 » doit réaliser des avancées sur plusieurs fronts clairement interdépendants, bien que distincts.
En premier lieu, il doit intensifier sa campagne de sensibilisation et s?appliquer à accroître le nombre de ses adhérents, bien au-delà des résultats obtenus jusqu?ici. Il existe, par exemple, des groupes de défense des droits de l?homme et des organisations féminines très connus et très respectés, dont l?absence est remarquée dans la liste initiale de signataires et qui devraient, autant que possible, être amenés à adhérer.
Deuxièmement, le groupe doit entre-temps atteindre un nouveau consensus au sujet de l?attitude précise à adopter le 15, et définir cette dernière de façon aussi claire et aussi concise qu?il l?avait fait la première fois.
Troisièmement, à l?échéance du 15 janvier, ce groupe doit être prêt à faire des propositions concrètes au sujet de la mise en ?uvre du nouveau contrat social auquel il a souscrit ? i.e. des recommandations aussi pratiques et directes que celles qu?il a déjà faites au sujet des élections.
L?organisation d?une sorte de « conférence nationale » sous les auspices d’entités impartiales (et peut-être même externes) pourrait sembler un bon départ. Les appels à l?organisation d?une telle conférence se sont multipliés au cours des quelques derniers mois, et, dans la mesure où un débat ouvert au public peut servir à préparer les prochaines élections tellement cruciales (plutôt que d?en détourner l?attention), cette démarche pourrait s?avérer non seulement positive mais encore décisive.
Dans la politique des États-Unis
Pour aussi longtemps qu?on s?en souvienne, les Etats-Unis ont souhaité trouver un « broker honnête » en Haïti. Ils ont commis tant d?erreurs au fil des ans ? à la fois par eux-mêmes et par la faute de beaucoup, beaucoup trop d?Haïtiens ? qu?il pourrait paraître béat de dire qu’ils sont enfin tombés, malgré eux, sur un interlocuteur crédible et loyal. Pourtant, c’est bien ce qui est arrivé cette fois.
Bien sûr, si le Département d?État, trop préoccupé par ailleurs, ne souhaite pas entendre de mauvaises nouvelles au sujet d?Haïti, cette potentielle percée ? par-delà le tohu-bohu de la « politique habituelle » en Haïti ? ne représentera rien d?autre à ses yeux qu?une nouvelle cause d?agacement. Qui souhaite, après tout, entendre imposer de nouvelles conditions au progrès dans la politique problématique de ce petit pays ? Qui est prêt à entendre la vérité, si jamais on parle de vérité ?
Toutefois, si, dans son engagement vis-à-vis d?Haïti, notre gouvernement s?intéresse à une société plus stable, plus juste et plus prospère – bref, une société qui ne restera pas toujours un milieu bon à produire seulement des immigrés clandestins et des réfugiés politiques ? dans ce cas, il est temps de jeter un regard neuf afin de déterminer qui sont les citoyens de ce pays voisin du nôtre, non loin au sud, qui méritent qu?on leur parle et qu?on les écoute.
Vu son courage et son esprit de solidarité, la nouvelle coalition mérite au moins cela, et il y a certainement lieu, pour les Etats-Unis, de reconnaître ce qu’elle a jusqu?ici réalisé. La vieille épithète d?« élitiste » dont on s?est jusqu?à présent servi pour marginaliser l?Initiative de la Société Civile ? malgré son évident pluralisme et son incontestable rôle d?inspiratrice dans cette conjoncture nouvelle et prometteuse ? ne peut nettement pas s?appliquer au Groupe des 184. Nous ne pouvons continuer à réclamer un « leadership plus responsable », d?une part, et ensuite faire volte-face en écartant cette avant-garde sous prétexte qu?elle représente une nouvelle « élite », du simple fait qu?elle s?est portée au-devant de la lutte. Ou bien, est-ce vraiment ce que nous allons faire ?
De plus, comme nous l?avons signalé plus haut, il y a beaucoup à faire. Un geste symbolique pourra peut-être suffire avant le 15 janvier mais, par la suite, les Etats-Unis devront se préparer à fournir un soutien réel et substantiel ? technique, financier et diplomatique ? au travail entrepris par cette nouvelle coalition pour changer le destin d?Haïti. Un tel soutien devrait immédiatement être focalisé sur une assistance à la campagne de sensibilisation et d?éducation, qu?il faudra mener en vue de renforcer encore l?étendue et la représentativité de ce groupe déjà remarquable par sa diversité. Il faudra également orienter ce soutien vers l?organisation, dans un proche avenir, d?une Conférence nationale de la Société civile haïtienne sur le Processus électoral.
Comment peut-on faire mieux, pour démarrer une année vraiment nouvelle en Haïti, d?autant plus qu?il s?agit d?une année toute spéciale, celle de la préparation des festivités du Bicentenaire ? Puisse le monde être invité, en 2004, non pas à la veillée mortuaire d?Haïti ? selon une qualification sinistre de certains diplomates découragés ? mais à sa renaissance. Apportons notre soutien entier, et cela, le plus tôt possible, à cette accoucheuse dont le succès est indispensable à la réussite de cette renaissance : la société civile haïtienne elle-même, diverse et variée.
Pour reprendre, avec une intention ici différente, l?un des aphorismes préférés de l?actuel président haïtien : Même si les États-Unis (et les autres « amis d?Haïti ») ne réussissent pas en fin de compte avec elle, il n?est que tout à fait certain qu?ils (de même que la nation) continueront d?échouer sans elle.