Originally: Hommes de peu de foi

Hommes de Peu de Foi


 rkillick@yahoo.com


 


 


A La mémoire de mon père Hammerton,


A tous mes amis lecteurs,


Et surtout par respect pour le peuple haïtien innocent qui ne peut me lire.


 


 


« Ma conviction profonde, selon une éthique qui m?est personnelle, est que je ne soutiendrai aucune cause qui ne revêt vraiment un intérêt national. »


(Feu mon père, Hammerton Killick, 1957, en réponse aux Duvaliéristes.)


 


 


Quelle humanité, Seigneur ! Au moment où les semences de l?unité s?apprêtent à germer dans quelques arpents de bonne terre, les bulldozers destructeurs ont envahi le champ de l?espoir pour les extraire du sol encore fragile et tout frais. Tout s?est passé dans l?obscurité d?une nuit sans lune, apparemment à l?insu du directoire de la Convergence Démocratique. C?était la nuit d?un jour comme çà qui pourtant promettait plus que d?ordinaire. Ils venaient de Tabarre, du KID, et du PAMPRA, nous dit-on ; tous trois   colporteurs de desseins personnels. La Nonciature Apostolique était l?hôte, dans la soirée du 12 janvier 2003, de cette rencontre au sommet qui décidait l?avenir prochain d?une nation de 8 millions d?âmes perdues ; la rencontre aurait été proposée au président Aristide par une poignée de businessmen à ce qu?on dit.


 


 


Si M. Aristide était réellement animé de bonnes intentions envers la nation et l?opposition, pourquoi ne se serait-il pas adressé au pays tout entier pour amorcer le changement décisif ? Pourquoi aurait-il choisi seulement deux leaders d?un camp dit adverse pour discuter de l?avenir du pays en catimini? Pourquoi aurait-il choisi de dialoguer avec Evans Paul et Serge Gilles sans inclure apparemment les autres leaders de la Convergence, s?il ne machinait pas des plans de démobilisation de l?opposition? Pourquoi des hommes d?affaires qui comprennent la nécessité d?un climat sécuritaire pour une croissance économique promouvraient-ils une solution dans laquelle M. Aristide garderait toujours son emprise sur ses terroristes de la rue ?


 


M. Aristide peut n?avoir aucune vision d?émancipation personnelle et nationale, mais il est loin d?être un imbécile. Considérons par exemple la proposition maintenant publique qui consiste à octroyer le poste de Premier ministre à Serge Gilles. Cela montrerait une volonté politique ? au moins dans l?immédiat — à sortir de la crise. Mais cela évoque aussi les relations difficiles entre l?exilé Aristide et le Premier ministre Robert Malval sous la férule militaire de Cedras. Malval était indépendant et disait au président destitué ce qu?il pensait, haut et clair, tout en oeuvrant pour son retour. Aristide ne se servira jamais d?hommes indépendants. Et ceci explique pourquoi il choisit des hommes comme René Préval et Yvons Neptune qui n?ont ni le courage ni la volonté de lui dire qu?ils sont en charge. Est-ce pourquoi également il aurait jeté son dévolu sur Serge Gilles ? Si Aristide retient la présidence, que peut-on anticiper de la primature Gilles ?


 


 


Le scénario le plus probable c?est que Gilles commence à diriger et préparer les élections législatives. M. Aristide, l?OEA et le Black Caucus demandent ipso facto une reprise de l?aide internationale. La Banque Inter-Américaine de Développement (BID) octroie timidement des fonds en attendant plus de progrès. La Banque Mondiale garde l?expectative car elle ne voit pas comment l?économie ruinée et la corruption institutionnalisée permettront le service de la dette. Aristide fait semblant de respecter les règles du jeu en laissant les rênes du gouvernement à son nouveau Premier ministre. Gilles ne peut rien contre la corruption et le parlement bloque presque toutes ses initiatives. Le président intercède pour ramener les parties à la raison et les incite à travailler pour le plus grand bien de la nation. Il en ressort grandi, Gilles n?est plus présidentiable, la Convergence Démocratique se fragmente, et le tour est joué. Aristide préside au bicentenaire de la honte le premier janvier 2004. Ainsi, il remporte sa partie de « qui perd gagne ».


 


 


Le régime Lavalassien repose sur la gabegie administrative, la corruption totale, un « laissez grinnin » pour ainsi dire. Il repose également sur la terreur des masses contrôlées par des énergumènes à la solde directe du président de la République. Manifestez pacifiquement contre Aristide et vous avez automatiquement une contre-manifestation dans le même temps. Attaquer une composante de son pouvoir, c?est commencer à le saper. Et saper son pouvoir, c?est s?attaquer personnellement à lui, Aristide, qui se définit par sa mainmise sur l?appareil d?Etat et les affaires. A bon entendeur, salut !


 


 


Allons plus loin en nous faisant l?avocat du cynique !


 


 


Pourquoi le double jeu de la mobilisation et du partage du pouvoir  à la Convergence Démocratique? Après tout, la Convergence jusqu?en septembre dernier tenait mordicus à partager le pouvoir avec les forces occultes Lavalassiennes. En 2002, c?était Paul qui dénonçait les négociations secrètes entre Aristide et les autres gros bonnets de la Convergence : Pierre-Charles, Benoît, Gaillard et consort. En 2003, c?est le tour de ces derniers de remettre la pareille à Paul. (Mon ami, le cynique philosophe qui, des années auparavant, me disait que je perdais mon temps à discuter d?Haïti parce que c?est un pays de « grangous », m?a visité une nouvelle fois hier.) Il m?a dit qu?il ne peut s?agir de bouffonneries politiques mais plutôt de gaffes calculées de la part de la Convergence. (J?avoue que je n?y avais pas pensé de la sorte.) Mon philosophe pense qu?en embrassant simultanément deux alternatives politiques mutuellement exclusives, la Convergence se retrouve partie prenante et bénéficiaire de toute solution à la crise d?une nation qui a déjà entonné son chant de cygne.


 


 


Un regroupement politique qui cultive une vision large et noble pour le pays et qui se veut tributaire de certaines valeurs de l?esprit comme l?honneur à la parole donnée et le respect des autres aurait déjà éclaté par suite des trahisons et des lâchetés de ses dirigeants l?un envers l?autre. Par conséquent ou bien la Convergence n?a ni vision ni même un modicum de valeurs ou bien elle joue double jeu. 


 


 


C?est en effet cette duplicité primaire dans l?action politique et l?usage du langage qui finissent par vaincre tout espoir de lendemains meilleurs pour un peuple jusqu?ici bafoué, vilipendé, et souverainement écarté et méprisé depuis 1804. C?est cette duplicité primaire qui fait le jeu d?un gouvernement tout aussi primaire qui ne cesse de s?engager dans les chemins étriqués et battus qui conduisent vers l?abîme. C?est cette absence totale de valeurs qui font déchanter les plus capables et les mieux préparés parmi nous. La Convergence Démocratique est désormais le Talon d?Achille d?une société qui se cherche, et qui tantôt emprunte la voix généreuse des 184 organisations civiles, tantôt la fougue de l?Initiative Citoyenne, mais toujours le chemin de la mobilisation — prônée par Leslie Manigat — qui seul conduit vers le renouveau. (Apprenons chers amis à donner à César ce qui est à César sans pour autant nécessairement faire partie de sa bande. C?est çà la voie de l?Haïti de demain.)


 


 


Evans Paul veut passer par « la fenêtre » alors que les grands hommes passent par la grande porte de l?histoire, altiers, conquérants et garants d?espaces verts d?espoir et de réalisations dignes de l?humanité en progrès. Où va-t-il trouver la fenêtre diplomatique à cet avant-poste de l?enfer qu?est Tabarre ? Est-ce la fenêtre par laquelle son compère Gilles arriverait à la primature pour une cohabitation productive ­­– laissez-moi rire? Gilles de son côté prétend que ni rien ni personne ne pourra diviser l?opposition. Il ne se rend même pas compte que son arrivée au pouvoir va aider M. Aristide à démobiliser la nation. Si ma caractérisation du pouvoir d?Aristide n?est pas persuasive, peut-être qu?une définition de l?opposition pourra édifier davantage MM. Paul et Gilles sur la gravité de leur initiative.


 


 


L?opposition n?inclue pas seulement les leaders politiques traditionnels, les âmes damnées des Duvalier qui se veulent subitement démocrates, les leaders de doublure pour  l?ancienne armée d?Haïti ou encore certains déçus de Lavalas qui réclament toujours leurs parts du butin. Elle a également dans ces rangs des gens de valeur, certains qui restent engagés dans la lutte et d?autres qui sont légions qui veulent tourner la page à cause des petites lâchetés et des trahisons que la vie nationale nous offre chaque jour en abondance. De plus, une foule d?entrepreneurs, d?investisseurs, de cadres ne demandent qu?un climat de sécurité propice pour transformer Haïti en une nation digne de ce nom. Les mesquineries politiciennes de l?heure font perdre à Haïti des fils et des filles au potentiel collectif inouï, et ce, peut-être pour toujours. Qu?attend-t-on pour appliquer ce potentiel à la reconstruction d?une nation détruite par les mesquines rivalités, les alliances indigestes, la « présidentite aiguë », l?obsession du pouvoir, l?impatience, et surtout le manque de foi en nos capacités ?


 


 


Le rôle d?un gouvernement, après tout, ce n?est jamais de développer lui-même directement un pays, mais plutôt d?éliminer les obstacles et créer un climat favorable au développement. M. Aristide et son gouvernement entravent le développement du pays et de ses masses par une politique rétrograde. Et tous ceux qui fraient un chemin pour ce Lavalas de misères, d?anarchie, et de terreur représentent des partenaires de leur cause lugubre. Le rôle d?un chef d?Etat responsable ce n?est point de chercher à tricher, décevoir et détruire de midi à quatorze heures mais plutôt d??uvrer à l?harmonie, de galvaniser pour déclencher les forces de construction, les épauler, se poser garant de leurs droits et de leurs réalisations. M. Aristide a un devoir à faire qui s?appelle Résolution 822, proposée par l?OEA en septembre 2002. Il peut choisir d?échouer comme il l?a fait jusqu?ici ou bien il peut commencer à montrer de la volonté politique en l?exécutant et même en faisant mieux. La balle est dans son camp. Il n?a pas à inventer des subterfuges pour aller la chercher dans le camp adverse ; son moment de vérité est arrivé.


 


 


Amis lecteurs, les faux prophètes pullulent sur la terre d?Haïti, devenue une terre de fauves, d?affamés et d?insatiables. Ils n?arrivent toujours pas à comprendre que finalement nous perdons tous un pays par égoïsme primaire. Nous perdons tous à cause de l?incapacité viscérale d?un seul homme à comprendre son rôle de serviteur public. Tenant de la réussite facile, sans un sou à son arrivée au pouvoir en 1991, le « tabarrois », désormais riche pour des générations, s?acharne à dilapider le peu qu?il nous reste et qui pis est, à mendier avec arrogance et accuser les étrangers de la faillite de son administration. (Expliquez-moi donc pourquoi la République dominicaine a pu réussir sans un potentiel comparable à celui de l?Haïti de 1804 qui fournissait quelques années plus tôt les deux-tiers du commerce extérieur de la France coloniale?)


 


 


En dépit de ce tableau dramatique, je crois dur comme fer que le salut d?Haïti dépend largement de la volonté politique collective qui se solidifie et s?amplifie en dépit ou à cause des coups de boutoir comme celui assené par Paul et Gilles à la fragile unité imprimée dans les actions de groupements civils et politiques. Des gens et des organisations sont tous en train de changer par nécessité et par logique d?engagement. Récemment, j?ai souligné publiquement que « Haiti Democracy Project (HDP) » se perdait inutilement dans un chemin tortueux en s?engageant dans une campagne stérile visant à pressurer M. Bush dans un « nation-building » en Haïti. Je dois souligner que la HDP s?est apparemment repositionnée, en témoignent un premier article et un deuxième publiés par eux où ils promeuvent la volonté politique haïtienne des 184 organisations civiles. De plus, ils ont publié Beyond the Revolution of Ideas (part II) qui ne leur était guère favorable. Ce faisant, ils ont montré courage politique et pratique démocratique, ce qui nous manque en Haïti.


 


 


(Ceux qui vous critiquent de façon constructive sont vos vrais supporteurs. Ceux qui vous applaudissent à tous les coups et vous défendent du bec et des ongles ne vous offrent jamais l?opportunité de grandir et de changer ; Ils sont en fait les architectes du drame d?Haïti. Ils voient du négatif partout. Ils impliquent leurs petites personnes dans tout alors que nous élevons le grand débat. Que cela ne tienne !)


 


 


Messieurs de la Convergence Démocratique, rattrapez-vous pendant qu?il est encore temps. Ne brisez pas la mobilisation du peuple haïtien pour le changement positif et durable. Il n?est pas prudent de faire cavalier seul sur le chemin du «tabarrois». Oubliez-vous que l?union fait la force ? Pourquoi déraciner l?unité qui ne demande qu?à germer sous la clarté lunaire d?un ciel nouveau ? Ayez donc un peu de foi dans notre capacité col1ective à relever le défi de deux siècles de misère. Marchez plutôt en rangs serrés pour le sauvetage national.


 


 


J?espère qu?au matin la rosée sera nouvelle et qu?on n?aura plus la stupeur généralisée qui a tant paralysé Haïti depuis 1994.