Raymond Valcin, Representant Permanent d?Haiti pres de l’OEA
17 Janvier 2003
Monsieur le Président,
Mes premiers mots sont pour saluer votre prise en charge de la présidence du Conseil Permanent et par la même occasion, la performance fournie par votre prédécesseur, l?Ambassadeur Denis Antoine. Tout en vous offrant sa coopération et son appui, ma délégation est convaincue que, sous votre leadership, le Conseil maintiendra une tonalité positive orientée vers la promotion, la défense et l?avancement de l?agenda interaméricain.
Je voudrais également saluer l?arrivée en nos rangs de la Représentante Permanente de Trinité et Tobago, Ambassadeur Marina Annette Valere.
Je voudrais remercier l?Ambassadeur Luigi Einaudi, pour l?exposé qu?il a effectué sur la mise en ?uvre de la résolution 822. A la lumière des premiers éléments d?information fournis, j?aimerais formuler quelques observations à propos du rapport verbal incombant au secrétariat général au titre des obligations découlant de la résolution 822.
Monsieur le président,
Ma délégation éprouve un certain malaise par rapport à l?approche et au ton utilisés pour caractériser la situation qui prévaut actuellement en Haïti. En effet une curieuse inversion s?est produite dans l?attribution des responsabilités relatives à la présente crise et au piétinement dans lequel semble s?enliser le processus de mise en ?uvre de la résolution 822. Certes j?ai relevé que certaines attentes n?avaient pas été comblées, mais il convient de mettre en évidence l?absence de fondement de toute démarche tendant à culpabiliser le gouvernement pour le présent imbroglio.
Monsieur le président,
La résolution 822 consacre l?incontournabilité des élections comme unique approche susceptible de générer la normalisation sur l?échiquier socio-politique national. A cet égard, le Gouvernement n?a cessé de réitérer son appel aux différents secteurs prévus constitutionnellement pour participer à la formation du Conseil Electoral Provisoire. Aucune pré-condition n?avait été prévue ni ne s?avère de mise pour l?accomplissement de cette étape indispensable.
Au lieu de s?en tenir à cet impératif, les principaux secteurs de l?opposition ont préféré promouvoir et pratiquer l?option dite zéro, c?est-à-dire le renversement du gouvernement ; ce procédé constitue une violation flagrante du cadre constitutionnel national et en même temps une brèche majeure opérée dans le dispositif général de la résolution 822. Ce faisant, malheureusement ils ont trouvé une caution complaisante de secteurs de la communauté internationale qui, de cette façon, contribuent à l?accentuation et à la détérioration de la situation déjà alarmante qui prévaut au pays.
Nulle part, en effet, il n?est indiqué dans la résolution ni dans aucun instrument agréé par la communauté hémisphérique que la légitime opposition à un leadership étatique régulièrement constitué doit aboutir au renversement d?un gouvernement dument mandaté. Le droit de manifester son opposition ne confère à un groupe aucune qualité ou attribution l?habilitant à supplanter l?expression de la souveraine volonté populaire.
Monsieur le Président,
Les positions articulées jusqu?ici par le Gouvernement haïtien restent claires. La disposition à trouver un terrain d?entente avec l?opposition reste ferme et le cap est maintenu sur l?organisation des prochaines élections. C?est d?ailleurs le propos tenu au Parlement par le Président de la République et le Premier Ministre, le 13 janvier dernier. En effet, la période des six prochains mois a été évoquée pour la mise en place du processus et l?opposition a été invitée, une fois de plus, à coopérer à la réalisation de cet objectif. Malheureusement, elle s?est évertuée à maintenir sa démarche axée essentiellement sur la paralysie du processus électoral en assujettissant son éventuelle participation à un déploiement interminable de pré-conditions exorbitantes et à une spirale d?enchères auxquelles aucune démarche concessive n?a la vertu de mettre fin.
Permettez, Monsieur le Président, que je fasse le rappel des séquences saillantes qui ont jalonné ce malaisé processus de mise sur pied jusqu?à maintenant inachevé, je devrais plutôt dire boycotté, du Conseil Electoral Provisoire. Ce sabotage s?est opéré en trois étapes.
Etape 1. En date du 4 novembre de l?année dernière, le ministre des Affaires étrangères, en application des directives circonstanciées du Président de la République, a envoyé une lettre à tous les secteurs concernés pour les inviter à désigner leurs représentants respectifs au Conseil. Les secteurs en question accueillirent cette invitation en indiquant leur disposition à collaborer à la mise sur pied de cet organisme dans la mesure, et seulement dans la mesure, où le gouvernement serait disposé pour sa part à effectuer une demande d?assistance technique à l?O.E.A. En date du 29 octobre 2002, une requête en ce sens a été formulée par le Premier Ministre, au nom du gouvernement, à l?adresse de la Mission Spéciale de l?OEA.
Etape 2 : Une fois confirmée la réponse positive de l?institution hémisphérique à cette demande, les cinq secteurs firent monter les enchères en exigeant en échange de leur participation que soient mis au point les termes de référence de l?assistance technique. En moins d?une semaine, lesdits termes de référence furent mis au point et signés par les deux parties. Prises de court, les institutions de la Société Civile, malgré cette tournure positive, ont élevé la barre en indiquant que leurs membres respectifs, dont le nom avait été révélé dans l?intervalle ne prêteraient serment et n?entreraient en fonction que si le dossier des réparations et d?autres dossiers conjoncturels trouvaient un règlement satisfaisant et définitif.
Etape 3 : Quand de façon tout à fait inattendue le coordonnateur de l?O.P.L. confirma officiellement la signature avec le gouvernement d?une entente sur les réparations, les secteurs de la société civile ne se gênèrent guère pour annoncer leur adhésion et participation au groupe des 184 organisations engagées dans une contestation frontale du gouvernement auquel elles ont enjoint un ultimatum dont le délai a été fixé au 15 janvier pour régler des questions aussi complexes et absorbantes que la sécurité, la professionnalisation de la police, la réforme de la Justice, entre autres.
Le Gouvernement de la république d?Haïti déplore profondément que l?ambiguité de la communauté internationale contribue à renforcer cette démarche d?obstruction par rapport au C.E.P. et à l?ensemble du processus électoral. Il est malséant de procéder à la condamnation unilatérale et sans nuance du gouvernement haïtien. Malséant parce que la résolution elle-même dans ses dispositions pertinentes au paragraphe 4 reconnaît explicitement que certaines des mesures qui y sont prévues nécessiteraient plus de temps et de ressources et devront faire l?objet d?une assistance technique particulière. En même temps cette approche de la communauté internationale se révèle pernicieuse dans la mesure où elle cautionne et camouffle le refus de l?opposition à s?insérer dans la démarche électorale. Sur cette base elle contribue dans une large mesure à alimenter les foyers de tension générateurs d?instabilité et de violence sur l?échiquier socio-politique du pays. Ainsi, il s?avère complaisant de répéter avec des secteurs qui sont à la fois juge et partie que le gouvernement n?a pas honoré les dispositions relatives au processus électoral que lesdits secteurs ont délibérément choisi de saboter.
Monsieur le président,
En fait le dossier des réparations est pratiquement bouclé. Conformément à l?accord du 9 juillet 2002, 86 millions de gourdes ont été décaissés ou seront versés en temps opportun. Le MOCHRENA a déjà reçu contre bonne et valable quittance 12 millions de gourdes, tandis que le KID a déjà engrangé 4 millions de gourdes. Une entente a été trouvée avec l?OPL, le MOCHRENA et le KID. Aux termes de cette entente, 70 millions de gourdes ont été versées au Comité Central de l?OPL qui a produit des réclamations pour et au nom de trente entités (personnes physiques et morales), selon des modalités convenues, dont 50 millions déposées en fiducie dans une institution bancaire et le versement en quatres tranches de $5 millions chacune de la balance.. Le responsable de l?OPL l?a explicitement et officiellement reconnu. Dans un tel contexte il s?avère incongru et imprudent d?affirmer que les réparations n?ont pas été complétées.
Au chapitre de la sécurité, le Gouvernement travaille de concert avec la Mission Spéciale pour traiter cette question complexe. Dans cette veine il faut signaler la mise sur pied par le Gouvernement d?un comité technique chargé du suivi de la résolution 822, particulièrement en matière de justice. Ledit comité comporte trois membres du gouvernement et deux représentants de l?O.E.A.. Il en est à sa troisième séance de travail dont la 4eme est prévue pour le vendredi 17 janvier prochain. Il constitue en espace de dialogue qui doit faciliter la collaboration entre le Gouvernement et l?Organisation hémisphérique. Sa tâche principale consiste à évaluer, au fur et à mesure, les résultats obenus par rapport aux décisions adoptées et présenter aux instances concernées toutes recommandantions jugées opportunes. De l?avis des deux parties, il effectue une besogne satisfaisante.
Monsieur le Président,
La Résolution 822 n?a pas créé des obligations que pour le Gouvernement, comme a eu tendance à l?affirmer un des intervenants avant moi. L?opposition et la Communauté internationale ont leur partition à jouer pour amorcer la fin de la crise politique. Des gestes de bonne volonté sont attendus de ces côtés-là. La suffocation économique à laquelle est soumis notre pays revêt un caractère meurtrier au sens le plus profond du terme. La dépréciation effrénée de la monnaie nationale, l?impact négatif des efforts pour se conformer aux conditionnalités des institutions financières internationales, entre autres la suppression de la subvention gouvernementale aux produits pétroliers avec la charge potentielle de perturbation sociale qui y est associée, les nombreuses poches d?agitation fomentées par des mains sur pourvues en ressources matérielles et en technique de guerre de basse intensité, les appels répétés au renversement de l?ordre politique, le refus de chercher et d?explorer des solutions raisonnables, tout cela témoigne d?un besoin urgent d?apaisement pour la mise en branle d?une démarche orientée vers la renaissance de la confiance et de l?espoir chez les huit millions d?hommes et de femmes de ce pays.
Dans une telle perspective il s?avère difficile pour le peuple haïtien d?accueillir l?imposition scandaleuse d?un embargo financier comme un geste d?amitié à son endroit. Pourtant la coopération solidaire avec Haïti est un impératif auquel la communauté internationale n?a pas le droit de se dérober après les gigantesques ponctions matérielles et humaines qui ont été effectuées sur nos ancêtres pour édifier une modernité dont est si fier aujourd?hui l?Occident développé. Le peuple haïtien nourrit des attentes légitimes quant à la restitution d?une partie de ces ressources dans le cadre d?une coopération traversée de dignité et d?humanisme.
Malgré le tableau peu reluisant présenté dans le rapport verbal, mon gouvernement maintient et réitère son indomptable optimisme quant à l?inéluctable aboutissement de la longue et douloureuse quête de notre peuple à la paix et au bonheur. Dans cette veine il est réconfortant d?apprendre qu?une rencontre a eu lieu dimanche dernier entre le président Aristide et deux responsables de la Convergence démocratique, messieurs Evans Paul et Serge Gilles. Les discussions auraient porté sur la problématique des élections et l?ouverture du pouvoir. Il s?agit d?une première puisque la rencontre a eu un caractère haïtiano-haïtien sans intermédiation étrangère.
Dans un contexte où les yeux de la communauté internationale toute entière sont braqués et rivés sur la commémoration prochaine du bi-centenaire de notre indépendance et au seuil de cette année nouvelle, nous formulons le v?u qu?une telle initiative ouvre la voie à l?édification d?une large plateforme d?union patriotique en vue de la réhabilitation de l?homme et de l?espace haïtiens. Nous invitons la communauté hémisphérique à relayer de toute sa force cet appel du chef de l?état à nos s?urs et frères de l?opposition
Il est temps que soient remis en honneur le franc jeu, la concorde et la solidarité au nom des intérêts transcendants et concordants de notre pays et ceux de l?humanité. Au fond par delà son impact meurtrier sur le peuple haïtien, la crise actuelle dans notre pays fait planer une menace sur l?affirmation la plus éclatante des droits de l?homme qu?a été la révolution haïtienne. Malgré les vicissitudes de toutes sortes qui ont été les fidèles compagnes de son histoire à la fois glorieuse et tragique, Haïti demeure une référence incontournable du patrimoine universel des droits de l?homme. C?est dans cet esprit que mon Gouvernement réitère sa conviction dans la prévalence d?un sursaut de patriotisme et de solidarité pour la préservation et la fructification de cet héritage du patrimoine universel. L?O.E.A., la communauté internationale et le peuple haïtien possèdent tous les atouts pour surmonter les incompréhensions multiples qui ont retardé la réalisation de cette grandiose entreprise commune. Il doivent à cette fin s?efforcer à tout prix de ne point rater le rendez vous de la réhabilitation que devra être 2004 en choisissant l?optimisme de la volonté en lieu et place du pessimisme de la raison.
Merci !