Originally: Qui a intérêt à faire taire Michelle Montas, veuve du journaliste


Qui a intérêt à faire taire Michelle Montas, veuve du journaliste

assassiné Jean Dominique ?


P-au-P., 28 dec. 02 [AlterPresse] — L’attaque, dans la soirée de Noël,

de la résidence de la journaliste Michelle Montas, a Pétion-Ville (Est

de Port-au-Prince) est le fait le plus marquant de l’actualité de ces

derniers jours. Maxime Séide, un de ses gardes du corps a été tué.


Deux hommes armés s’etaient présentés devant la maison de la veuve de

Jean Dominique, quelques minutes seulement après qu’elle était rentrée,

a témoigné la journaliste. Puis, a-t-elle ajouté, elle a entendu la

barrière se fermer violemment et des coups de feu. Entre-temps, un des

deux gardes du corps s’était précipité vers la maison pour prendre une

arme et l’autre, resté dans la rue, a été blessé par balles. Il est

décédé à quelques mètres de la maison, qui a également reçu plusieurs

rafales.


“Rendre Justice contre les assassins, c’est bloquer les assassins! C’est

leur empêcher de commettre d’autres crimes…”, disait le journaliste

Jean Dominique en 1989. C’était 3 ans avant qu’il soit lui-même victime.

Set balles à la tête et au cour, dans la cour même de sa station, Radio

Haïti Inter, au petit matin du 3 avril 2002.


L’ennemi essaie encore de barrer la route à la Justice, dit-on dans

l’entourage de Michelle Montas, alors que l’ordonnance finale concernant

l’enquête sur l’assassinat du journaliste devrait sortir dans les

prochains jours.


“Nous n’avons absolument pas l’intention de nous taire”, a déclaré

Michelle Montas au lendemain de l’attaque de sa maison. Elle est

convaincue que c’était une tentative d’assassinat contre sa personne et

il y a, di- elle, “un lien très clair” avec l’ordonnance qui doit

sortir.


La journaliste continue d’animer seule le journal qu’elle présentait

auparavant en compagnie de son mari, tous les matins à 7 heures. Et

chaque jour, elle répond au salut enregistré de “Jean” avant de saluer

les auditeurs et marquer le nombre de jours depuis que “l’enquête se

poursuit”.


“Je n’ai pas peur, j’ai déjà été tuée le 3 avril 2000”, affirme-t-elle.

Elle avoue cependant sa tristesse face à l’assassinat d’un “jeune homme

consciencieux” et sa préoccupation pour ses collaborateurs. Radio Haïti

continue de fonctionner, cependant ses émissions de nouvelles,

suspendues la veille de Noël, n’ont pas encore repris.


Les réactions ont été rapides et nombreuses après l’attaque du 25

décembre. Organisations de journalistes, organisations de défense des

droits humains et personnalités de divers secteurs n’ont pas tardé à

condamner cet attentat. Le gouvernement a fait de même et dans la

foulée, le Président Jean Bertrand Aristide a publiquement exigé, le 26

décembre, la publication de l’ordonnance relative a l’affaire Jean

Dominique, actuellement conduite par le Juge d’instruction Bernard

Sainvil.


La veille, Michelle Montas avait reçu la visite de hauts responsables du

pouvoir, dont le ministre de l’intérieur, Jocelerme Privert, de l’ancien

Président René Préval, ami de la famille, et des appels téléphoniques de

Aristide et du Premier Ministre Yvon Neptune.


Mais cette attaque qui a coûté la vie à l’un des agents de la sécurité

rapprochée de Michelle MONTAS est la conséquence directe de l’impunité

dont jouissent aujourd’hui encore les assassins de Jean Dominique et de

Jean Claude Louissaint (gardien de Radio Haïti, tué au même moment que

le journaliste), martèle la Coalition Nationale pour la Défense des

Droits Humains (NCHR).


Cette attaque, déclare la NCHR témoigne aussi de la puissance des

assassins du directeur de radio haïti  inter et du manque de volonté du

pouvoir de favoriser la conclusion de l’enquête.


Les 2 ans et 8 mois que dure déjà cette enquête sont parsemés

d’assassinats et de rebondissements spectaculaires. Deux suspects, Jean

Wilner Lalane et Panel Renélus, ont trouvé la mort dans des conditions

jamais éclaircies. A la fin d’octobre 2000, Jean Wilner Lalane est

décédé mystérieusement à l’Hopital de l’Université d’État, alors qu’il

était sous surveillance médicale et policière, et son cadavre a disparu.

Panel Renélus a été lynché le 9 novembre 2001 à l’intérieur même d’un

sous-commissariat de Police de Léogâne (Sud de la capitale).


La NCHR a révélé que le Commissaire de Police de Léogâne, Jean Baptiste

MICHEL-ANGE, inculpé dans le lynchage de Panel Renélus par Claudy

Gassant, ancien Juge d’instruction en charge du dossier Jean Dominique,

a été  muté à Carrefour. Il remplace le Commissaire Josaphat Civil,

relevé de ses fonctions suite à l’assassinat de trois (3) jeunes frères

à Carrefour (banlieue sud de Port-au-Prince).


En outre, une demande de levée d’immunité de l’ex-officier militaire et

sénateur Dany Toussaint, inculpé dans le cadre de l’enquête sur le

double meurtre du 3 avril, a traîné en longueur pendant  six mois au

Sénat.


Le mandat du juge Claudy Gassant, arrivé à terme à la mi-décembre 2001,

n’a été renouvelé, par le Président Aristide, que 4 mois plus tard. Le

juge Gassant, qui n’avait cessé de dénoncer les pressions et menaces de

toutes sortes de la part de proches du pouvoir et des blocages

administratives, s’était alors déjà réfugié aux États-Unis.


La Société Interaméricaine de Presse (SIP) avait publié au début de mars

2001 un document qui situait les responsables de l’assassinat de Jean

Dominique dans les rangs du parti Fanmi Lavalas du Président Aristide.

L’enquete menee par la journaliste Anna Arana de la SIP avait conclu que

le directeur de Radio Haïti Inter était ” victime d’un conflit apparent

qui a impliqué divers groupes politiques lies au parti Lavalas”.


Reporters Sans Frontières avait envoyé, pour sa part, une équipe sur le

terrain a la fin de mars 2001. A cette occasion, RSF avait indiqué que

80 personnes ont déjà été interrogées par la justice et 6 incarcérées,

dont 2 des éventuels tueurs de Jean Dominique. Les 4 autres personnes

seraient impliquées dans la mort du principal suspect Jean Wilner

Lalane, avaient ajouté l’organisation.


Dans une interview accordée à AlterPresse à l’occasion du deuxième

anniversaire du meurtre de son mari, Michelle Montas avait déclaré que

“malgré les multiples promesses faites, nous nous retrouvons dans une

situation de blocage du dossier, non seulement au niveau de la Justice,

mais aussi de l’Exécutif, de la Police, du Sénat”.


“Manifestement, avait-elle poursuivi, il y a des intérêts puissants

cachés derrière l’assassinat du 3 avril 2000. Les commanditaires du

crime qui sont tout-puissants économiquement et politiquement ne vont

certainement pas laisser la Justice suivre son cours.” Michelle Montas

n’avait pas écarté la possibilité d’aboutir à une justice truquée :

“voici les coupables, point barre ! on ne connaît pas les

commanditaires”.