Le Groupe de Réflexion et d’Action pour la Liberté de la Presse (GRALIP) Condemns Violence Against the Press
Aug 16, 2002 | Français, Human Rights, Press Freedom
L?autonomie de l?Université d?Etat d?Haïti (UEH) est sérieusement menacée. Un mouvement de solidarité nationale, traversant tous les secteurs de la population, prend forme pour barrer la route à ceux qui veulent mettre cet espace de savoir, de débats et de propositions sous la coupe partisane des actuels dirigeants de facto. Dans un texte récemment rendu public[i], la Ministre de l?Education, Madame Myrto Célestin Saurel, dont l?institution qu?elle dirige n?a pas de tutelle sur l?Université à cause de son caractère indépendant, monte au créneau pour tenter de justifier ce que plus d?un qualifie de « coup d?Etat » contre l?UEH. La réponse ci-dessous est une façon de contribuer à la défense de l?Autonomie de l?Université d?Etat.
Objectif du coup : blocage du processus électoral et nomination de facto d?une Commission du pouvoir central
Le Ministre de l?Education tente d?abord, dans cet article, de justifier l?arrêt brutal, par son Ministère, du processus électoral devant conduire au renouvellement du Recteur et des deux Vices-Recteurs de l?UEH, institution, répétons-le, indépendante et autonome (de l?Exécutif) au même titre que le Conseil Electoral Permanent, la Cour Supérieur des Comptes et du Contentieux Administratif, la Commission de Conciliation et l?Office de la Protection du Citoyen. Par ailleurs, dans son document, Mme Saurel essaye de justifier la mise à l?écart de la Direction sortante, chargée de gérer les affaires courantes, par une Commission provisoire imposée par le pouvoir central.
Une argumentation tronquée
Le premier argument avancé par la Ministre pour expliquer son forfait est de ne pas considérer les élections comme un processus à plusieurs tours. Laissant croire que les opérations électorales étaient arrivées à leur terme, Madame Saurel écrit : « des élections ont eu lieu, mais elles n?ont abouti qu?à élire un seul des trois membres devant composer le Conseil alors que le mandat de celui-ci avait pris fin. » Et alors ? A l?occasion des élections devant élire les dirigeants des Universités autonomes, en Haïti et ailleurs, il arrive souvent d?avoir recours à plusieurs tours pour arriver au choix des élus. La Direction sortante reste pour gérer les affaires courantes en attendant d?être remplacée. D?ailleurs, et Madame la Ministre est sensée le savoir, en 1998 à l?occasion des élections des membres du Conseil Exécutif de l?époque, plusieurs tours ont été nécessaires pour arriver au choix des trois responsables. Tous n?ont pas été élus au même tour. La loi électorale prévoit ce cas de figure. Le Ministre de l?Education de l?époque n?est pourtant pas intervenu, bien qu?il y ait eu beaucoup de problèmes pour mener à bien le processus.
Le pouvoir dénie le droit d?être candidat
Le second argument, spécieux, de Madame Saurel pour justifier son coup de force est de nier le droit à un citoyen d?être candidat et à faire croire que l?UEH serait bouleversée dans son fonctionnement par sa simple présence. Jugez-en : « la reprise des élections avec la participation de l?ancien Recteur, qui ne s?était pas présenté au premier tour comme candidat à sa succession, a eu de graves répercussions sur le fonctionnement de l?Université. » Madame la Ministre est sensée être au courant qu?à l?occasion des élections devant élire les dirigeants des Universités autonomes, en Haïti et ailleurs, il arrive qu?un candidat se présente au second tour sans s?être au préalable inscrit au premier. Tel d?ailleurs fut le cas du Recteur sortant, Monsieur Pierre-Marie Paquiot qui ne s?était pas présenté au 1er tour des élections de 1998. Monsieur Jean-François Tardieu ne s?était pas non plus, cette année, présenté comme candidat au poste de vice-recteur à l?occasion du premier tour. Il s?est d?ailleurs publiquement désolidarisé de son frère, Charles Tardieu, qui a accepté de présider la Commission provisoire du pouvoir central.
Six étudiants utilisés pour bloquer le processus électoral
Le troisième argument de Madame Saurel, dans son texte, est de dire, je cite « Une partie des étudiants s?est opposée à la réélection du Recteur qui était en poste. Cette opposition a dégénéré en une grève de la faim de la part de certains d?entre eux, perturbant ainsi le climat de sérénité nécessaire à la poursuite du processus électoral. » Madame la Ministre sait très bien qui a droit de voter ; elle sait très bien qui fait partie du Collège électoral ayant été mandaté par l?ensemble de la communauté universitaire pour élire ceux qui doivent être à la tête de l?UEH, ce selon les « Dispositions Transitoires » agréées par son Ministère. En effet, ce sont 33 grands électeurs (11 doyens, 11 professeurs et 11 étudiants) venant des 11 facultés composant l?Université d?Etat d?Haïti, grands électeurs qui sont démocratiquement désignés par leurs pairs, dans chacune des facultés, pour faire partie du Conseil de l?UEH et pour composer le collège électoral. N?ayant pas été désignés par leurs collègues pour les représenter au collège électoral, une poignée d?étudiants a décidé de faire une grève dite de la faim. Ceci ne pourrait gêner en rien « le climat de sérénité nécessaire à la poursuite du processus électoral » car ils ne sont pas « grands électeurs. » Ils sont quand même arrivés, avec la complicité du Ministre, de quelques sénateurs et de l?occupant du Palais National, à bloquer le processus.
Une ordonnance juridique de complaisance politique
Dernier argument avancé pour bloquer le processus et déchouker la direction du Rectorat (dont un avis interne du Conseil de l?Université avait prolongé légalement son mandat), est de s?appuyer sur un artifice légal « une ordonnance émise par le juge des référés nous a été signifiée, enjoignant le Ministère de suspendre le processus électoral en cours. » Madame Célestin Saurel sait que cette ordonnance est de complaisance politique d?autant que le juge des référés ne peut se prononcer sur affaire interne d?une institution autonome et indépendante. C?est pour cela qu?elle passe sous silence, dans son article, l?origine de la demande au Tribunal des référés de rendre caduc le Conseil Exécutif et de suspendre le processus électoral.
Savez-vous qui avait interpelé le Tribunal des référés dont la compétence en la matière n?est pas requise ? Ce sont six étudiants au nom des 800 professeurs, de 13.000 étudiants et de dizaines de membres du personnel non académiques. Les droits et prétentions ainsi que les titres et les qualités des six étudiants n?ont pas été examinés par le « juge ». Qu?importe, il fallait donner une argumentation juridique au pouvoir central pour perpétuer son forfait.
Une Commission de facto et un Conseil d?Université irréconciliable
Pour terminer, Madame Saurel déclare que la nomination de sa Commission Provisoire sera « chargée d?élaborer, de concert avec le Conseil de l?Université (souligné par nous), la loi organique de l?UEH et de poursuivre le processus électoral. » La Ministre sait très bien qu?aucune entente ne peut s?établir entre sa Commission et le Conseil Université. Ces derniers l?ont souvent répété. Et quand elle ajoute « la communauté universitaire aura tout le loisir d?élire les membres du Conseil Exécutif qu?elle juge les mieux placés pour réaliser l?autonomie et l?indépendance de fait de l?institution », elle sait très bien que c?est le même Conseil d?Université, à qui elle tente d?imposer une Commission Provisoire, qui aura à « poursuivre le processus électoral » ? ou bien, et cela ne serait pas étonnant ? , le pouvoir remplacera les membres de l?actuel Conseil Université par ses gens à lui pour « poursuivre le processus électoral » ? Sans commentaires.
Résistance et Réformes vont de paire
Des critiques peuvent et doivent être faites sur la gestion des Conseils Exécutifs et des Conseils de l?Université qui se sont succédés durant ces seize dernières années. Je l?ai fait, comme enseignant, tant publiquement qu?en réunion avec eux les membres des dits Conseils. Cependant il faut distinguer le principal (l?autonomie) du secondaire (les faiblesses dans la gestion de l?UEH) tout en profitant de lier la lutte pour la défense de l?autonomie de l?Université d?Etat à celle de sa réforme de l?UEH à travers un large débat intra et extra universitaire. C?est la seule voie qui empêchera le pouvoir Lavalas de vouloir caporaliser l?Université au profit des petits projets de la Présidence.
Micha Gaillard
Professeur à l?Université d?Etat d?Haïti
Port-au-Prince, le 13 août 2002
michagaillard_12@yahoo.com