Nous adressant à la conscience civique et nationale, le 18 mars dernier, nous tirions la sonnette d’alarme. Nous criions, angoissés: “Ne sentons-nous pas que nous sommes en train de perdre notre âme de peuple et avec elle notre liberté?”
A quoi assistons-nous, en effet, à quoi sommes-nous confrontés, aujourd’hui? A ce qui dépasse et défie l’entendement, à l’impensable, à l’innomable, à l’inacceptable.
Comment, en effet, a-t-on pu admettre, par exemple que des groupes parapoliciers possèdent un arsenal, comment a-t-on pu tolérer qu’ils s’affublent du nom d’armée? Comment, ô horreur, ô infamie, comment s’est-on habitué à entendre, sans nausée, qu’un groupe se glorifie du titre de “cannibale”?
“Kanibal, sa vle di: bèt kap dévore, manje bèt parèy li, sa vle di: moun ki manje moun parèy li”. Alors, là, on plonge, tête la première, et l’on touche à l’intolérable.
L’assaut multiple, donné aux Gonaïves, ne consiste pas seulement en une atteinte au symbole de la justice, mais, bien, en une violation préméditée et consciente d’un attribut de la justice: justice distributive, justice médicinale aussi.
Parlant de justice, on a vu comment elle a été administrée à Hinche, au début du mois de juillet dernier. Pourquoi? Parce que, pour une grande part, les instances de recours se furent récusées. On a donc assisté à l’inouï et à l’inédit: la lapidation d’un Evêché; la violation, par effraction, de domicile, de ce même Evêché; pis, le viol d’asile. Et puis, le lynchage du meurtrier, par une foule en furie dans la cour même de l’Evêché; sa carbonisation, ensuite, non loin de là. C’est horrifiant, révoltant.
Ne le sait-on pas? Un Evêché, une Eglise, un Temple sont assimilés à un lieu d’asile; ce sont des lieux inviolables. Vraiment, “si le Seigneur ne garde la ville, celui qui la garde veille pour rien” (ps. 127, 1). Que dire alors, quand la garde ne veille même pas?
Ce n’est pas assez de dire que, indignés, on proteste énergiquement; car, on est navré devant une telle descente aux enfers.
Revenons aux comportements insupportables: dîtes, comment peut-on accepter, impassibles, que des gens, embouchant microphones ou se pavanant devant les caméras, puissent, au grand jour, sans s’inquiéter de rien, proférer des menaces caractérisées? Oui, on regarde, on entend et l’on ne fait rien; pis, on laisse faire; mais eux, ils font tout, à leur guise, impunément, avec arrogance. Comment peut-on accepter, sans sévir, -car il faut parfois des mesures coercitives- que des groupes revendiquent des assassinats? Alors, comment s’étonner, après de ce qui arrive, de ce qui peut encore arriver, si la spirale se déroule, inexorablement.
Nous, de la Conférence des Evêques, nous avons toujours condamné, avec la dernière énergie, n’importe quelle forme de violence, d’où qu’elle puisse venir. Nous réprouvons donc, et condamnons toutes celles qui font rage, autant celles de Gonaïves que d’ailleurs. Comment ne pas déplorer amèrement, la malencontreuse hypothèque que ces évènements font peser sur le processus de sortie de crise?
S’il est vrai que le dialogue est, de loin, la meilleure voie de résolution des conflits, il n’en reste pas moins, que cela ne supprime, en rien, la fermeté et la détermination qui peuvent se révèler de rigueur. Il faut, certes, éviter tout ce qui peut dégénérer en guerre civile, tout ce qui peut provoquer un bain de sang. Il faut, en revanche, prendre les choses à bras-le-corps, virilement, préserver et faire prévaloir le droit. Que donc les instances, préposées à cet effet, endossent pleinement leurs responsabilités! Sinon, en lieu et place de l’arbitraire qui plastronne aujourd’hui, nous basculerons dans la barbarie.
Nous en appelons ainsi, “urgemment”, à la sagacité et à la sagesse des dirigeants; au civisme, au dépassenent patriotique de tous les citoyens et des hommes politiques; à la raison, quoi! pour que prévaille le droit, dans le respect, la vérité et la dignité.
Donné au siège de la Conférence, le 9 août 2002.
Hubert Constant omi Evêque de Frot-Liberté Président de la CEH
–Le Nouvelliste, 36.508, August 15, 2002