Dans un article publié aujourd?hui par le Washington Post, Tracy Kidder demande la reprise de l?aide au gouvernement haïtien.



           
Toute aide accordée au gouvernement chaotique actuel d?Haïti serait virtuellement ou bien gaspillée, ou bien détournée. Elle n?atteindrait en aucun cas la population. Il est vrai que l?aide véhiculée par les organisations non-gouvernementales arrive jusqu?à la population, mais elle n?entraîne pas la productivité. C?est là le dilemme, en ce qui concerne Haïti.



           
L?aide transmise par le gouvernement avait commencé à être efficace vers le milieu des années 90, après l?intervention ordonnée par Clinton, en raison d?une forte présence de conseillers étrangers et d?un répit de courte durée dans les querelles entre secteurs politiques. À mesure que les étrangers partaient et que le sectarisme s?installait de nouveau vers la fin des années 90, le gouvernement se trouvait paralysé et incapable d?organiser des élections libres. L?assertion de Kidder, selon laquelle le président actuel, Jean-Bertrand Aristide, a été librement élu en novembre 2000 (même si ce fut le cas en 1990) soulève des interrogations. L?élection de 2000 fut boycottée par la mission d?observateurs de l?Organisation des États américains en raison de fraudes grossières. Seulement cinq à quinze pour cent de l?électorat y a participé, contrairement à la participation de soixante pour cent aux élections législatives précédentes. Le seul candidat viable qui aurait pu s?opposer à Aristide fut assassiné, probablement par les hommes de main d?Aristide. Aristide s?est présenté aux élections sans opposition.

           
En février dernier, la Banque mondiale a annoncé que virtuellement tous ses projets en Haïti, au cours des quinze dernières années, avaient échoué parce que les différents gouvernements étaient inefficaces et corrompus. « La Banque et les autres bailleurs de fonds ont commis une erreur en offrant des programmes d?assistance traditionnels sans avoir évalué les principes fondamentaux de gouvernance et les barrières politiques au développement. » Kidder nous invite à reproduire la même erreur.

           
En fait, l?aide au gouvernement haïtien actuel équivaudrait, comme le disait le parlementaire Otto Passman dans son incomparable discours de Louisiane, à « prendre de l?argent des pauvres des pays riches pour le donner aux riches des pays pauvres. »

           
Ce n?est pas l?administration Bush, mais le Pésident Clinton lui-même qui, de concert avec l?Union européenne, a suspendu l?aide en 2000 dans une vaine tentative d?inverser la fraude électorale. L?administration Bush a poursuivi la politique de Clinton, sans aller au-delà, pendant vingt mois. Il y a cependant un grain de vérité dans l?article de Kidder : une politique négative consistant à refuser l?aide ne suffit pas à résoudre le problème du pays le plus pauvre de l?hémisphère.

           
Ce qui avait commencé à produire des fruits vers le milieu des années 90 devrait être repris avec détermination : l?édification du pays, axée sur la préparation d?élections impeccablement libres et honnêtes. Compte tenu du sentiment anti-Aristide qui grandit rapidement de nos jours au sein de l?électorat, de telles élections produiraient un parlement pluriel, de même qu?un appareil gouvernemental plus professionnel et plus honnête. Puisque les programmes de la Banque mondiale soulignent maintenant, de façon explicite, la nécessité de la bonne gouvernance, les bases sont désormais jetées pour la mise en oeuvre convenable des programmes d?aide.

           
Étant donné que des élections libres et honnêtes mettraient en péril le monopole de la faction qui détient actuellement le pouvoir, elles ne pourraient se dérouler sans le retour des forces de sécurité étrangères, qui étaient sur place vers le milieu des années 90. D?où le second paradoxe concernant Haïti : la volonté souveraine du peuple haïtien ne peut pas s?exprimer sans une certaine forme d?intervention étrangère. C?était à ce même paradoxe qu?a dû faire face le Président Clinton en 1994.


 


            Plutôt que les évidences d?ordre moral évoquées par Kidder, la réalité de la situation haïtienne n?offre que des dilemmes. La négligence ne peut que prolonger les souffrances. De même, une aide aveugle au gouvernement ne peut que prolonger les souffrances. L?édification du pays en présence d?une force de sécurité offre une issue, mais elle compromet la souveraineté.

           
Si nous devons nous intéresser sincèrement au sort du peuple haïtien, comme Kidder nous y exhorte, notre seule option est de faire face à ce second dilemme, de surmonter l?aversion de l?administration Bush au sujet de l?édification du pays et de concilier, autant que possible, la présence étrangère avec la souveraineté.


 


James R. Morrell
Haiti Democracy Project
2303 17th St., N.W.
Washington, D.C. 20009
james.morrell@inxil.com
https://haitipolicy.org


 


James R. Morrell était conseiller du Président Aristide pendant les négociations de Governors Island en 1993 ; il fut aussi envoyé par l?O.E.A. comme observateur aux élections. Il est le directeur de Haiti Democracy Project à Washington.